Une thèse de Marie Lusson intitulée :

 

Restaurer des rivières à l’ère de l’Anthropocène :
Controverses sociotechniques des pratiques réparatrices
(Durance, Vistre, Gardons, Drac)

 

Quelques extraits :

Les concepts de « machine organique » ou de « cyborg » illustrent et délimitent la
notion de rivière de l’Anthropocène. Un grand nombre de cours d’eau français répondent à
cette description à des niveaux plus ou moins importants. Les Schémas Directifs
d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) identifient les cours d’eau « ayant subi
certaines altérations physiques dues à l'activité humaine et de ce fait fondamentalement
modifiés »

les multiples aménagements ont, à l’image du fleuve Columbia, transformé la
Durance en « machine organique ». Cette rivière, autrefois large et tumultueuse, est
aujourd’hui corsetée et disloquée entre 16 barrages et 25 centrales hydroélectriques, son eau
est dérivée dans un canal long de 250 kilomètres où seul 1/40e du module est conservé dans
son lit historique, accueillant sur ses berges le plus grand projet mondial de fusion nucléaire,
ITER.

Nous reprenons le constat proposé par White comme point de départ pour interroger
comment, depuis ce type de système, peuvent se penser des opérations de restauration au
sens d’« assistance vers l'auto-régénération des écosystèmes » (SER 2002) : quelles formes de
restauration adopter face à une « machine organique » ? Comment restaurer une rivière sous
contrainte ?

Dans cette première section, je raconte comment les aménagements multiples sur la
Durance ont fait passer la rivière d’un état (hydrologique et sédimentaire) non-contrôlé et
redouté par ses populations vers la création d’un système économique piloté pour
l’exploitation de l’ensemble de ses ressources. Cette mutation complète est rapprochée du
concept de « Changements d’Etats Infrastructurels » développé par le Feral Atlas (Tsing et al
2020). Je montre ensuite comment cette hyper-artificialisation met en difficulté les
gestionnaires du syndicat de rivière, tiraillés entre enjeux économiques, sécuritaires et
écologiques, pour faire tenir la machine-organique.

La première partie a visé à retracer les grandes étapes d’aménagements qui ont conduit à
l’artificialisation et à la transformation de la Durance en système économique. Les
infrastructures ont désassemblé la rivière la divisant en unités d’usages afin d’exploiter au
mieux l’ensemble de ses ressources.

Dans une seconde partie, j’ai montré comment la fragmentation de la Durance lui avait ôté
ses capacités de mouvements autonomes, réduisant les marges de manoeuvre des opérations
techniques susceptibles d’accompagner la rivière vers un retour de ses fonctionnalités. De fait,
ses gestionnaires vont privilégier le maintien des formes de nature existantes et résistantes à
valoriser comme patrimoine malgré le caractère ordinaire des milieux. De plus, face à
l’impossibilité de changer de modèle agricole, industriel ou touristique, ces réparations
s’effectuent à des échelles restreintes, sur des compartiments écologiques circonscrits et de
manière répétée.

 

 

 

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