Le Platane de Cavaillon

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Nous vous proposons le même article sous deux formats différents (une version longue et une version courte, à vous de choisir):

 

Version courte:

Ce platane pourrait bien devenir aussi célèbre que la sardine de Marseille qui bouchait le Vieux Port. C’est un arbre plus que centenaire. Il est situé sur la future ZAC des Hauts Banquets. Aux dires des experts naturalistes il fait partie d’un site intéressant,  où on a trouvé des représentants de petits rapaces (la Chevêche d’Athéna et le Petit Duc Scops). La Mission Régionale de l’Autorité Environnementale  a souligné l’importance de cet habitat et de ses locataires. La première idée fut donc de « le mettre en défens ». Mais après réflexions, pour des raisons pratiques, l’aménageur a pris la décision de transplanter ce bel arbre.  Il faudra bien sûr l’élaguer sérieusement et puis on coupera aussi quelques racines, n’est-ce pas ? Mais encore faut-il savoir où mettre ce pauvre arbre ? Pourquoi pas sur un rond-point dans les nouveaux aménagements de voirie ? C’est justement l’idée de l’aménageur : « Il est également précisé que le platane existant sur le site (au Sud-est) sera conservé sur la ZAC conformément aux dispositions de l’arrêté d’autorisation environnementale, mais il sera transplanté et réinstallé dans les espaces centraux (îlot ou giratoire central)»[1]. Les oiseaux et autres commensaux trouveront-ils ce nouvel aménagement à leur goût ? On aimerait voir ce beau cortège accompagnant le vieil arbre comme dans un joli conte ! Hélas, le platane de Cavaillon est le signe dérisoire des dérives des études d’impact environnemental oublieuses des grandes causes et s’appliquant, à force de découpages et d’analyses, à négliger la valeur et la cohérence globale des écosystèmes. C’est ainsi qu’il est permis d’écrire après avoir décrit le projet d’implantation d’un entrepôt de logistique impliquant l’artificialisation de 78% de la surface du secteur A de la ZAC (soit 6,9 sur 8,9 ha) ; « À l’issue de la mise en œuvre des mesures d’atténuation, aucun impact résiduel n’est attendu sur des espèces végétales ou animales »[2]. Même pas mal !

 

Version longue:

La ville de Cavaillon et la communauté d’agglomération Lubéron Monts du Vaucluse ont décidé de créer une ZAC sur le territoire de Cavaillon, la ZAC des Hauts Banquets, sur 46ha essentiellement constitués par des friches agricoles. Les terres alluviales y sont riches et un arrosage gravitaire encore présent. La déclaration d’utilité publique a été prononcée par le Préfet par arrêté du 8 janvier 2020, après enquête publique sur le projet et avis de la Mission Régionale d’Autorité environnementale. Un premier permis de construire concernant des entrepôts de logistique vient d’être accordé sur une partie de la zone.

Conformément à la loi, de sérieuses études d’impact ont été menées tant pour la ZAC en son entier que pour l’implantation des entrepôts. On y trouve une description systématique des différents milieux rencontrés et le recensement des espèces floristiques et faunistiques qu’ils abritent. Cela donne lieu à de longues énumérations où le classement s’opère en fonction du statut des espèces ; une analyse normative règlementaire permet de dire ce qu’il convient de préserver et ce qui est de moindre intérêt ou « négligeable » comme il est dit dans les appréciations. Les plantes les plus communes peuvent être dérangées ou détruites sans remords, de même pour la faune. Pour ce qui concerne les insectes, pour prendre un exemple, on peut trouver ce jugement ; « aucune espèce d’insecte protégé n’a été identifiée au niveau de la zone d’étude lors de prospections réalisées en 2017 »[1].Nous voilà rassurés et quant aux espèces communes, « elles présentent un enjeu local de conservation, jugé très faible à faible »[2]. Un tel jugement signifie que rien ne s’oppose donc de ce point de vue à la réalisation du projet. Et pourtant, le simple bon sens ne devrait-il pas nous dire que l’absence de richesse supposée de cette entomofaune est due avant tout à la baisse vertigineuse du nombre des insectes depuis une trentaine d’années[3]et qu’en conséquence le plus grand soin devrait être accordé à l’ensemble de ce cortège ? N’est-ce pas une prise en compte de la globalité de l’écosystème qui devient nécessaire quand on est confrontés à cette catastrophe ? Suffit-il de dire qu’aucune espèce protégée n’est concernée par le projet pour se trouver quitte ? L’intérêt porté à ce qui est donné pour rare ou exceptionnel devient le masque derrière lequel, au bout du compte, se cache l’indifférence aux atteintes portées à un écosystème complexe dans lequel la vie des sols tient une place majeure ici non prise en compte ! Il n’est pas inutile de rappeler que le Vaucluse connaît un rythme soutenu d’artificialisation de ses sols agricoles, de l’ordre de 400 à 500 ha par an et prévoit d’artificialiser encore 3000 ha de surface naturelle et agricole, la plupart irriguées, d’ici à 2030[4].

L’étude d’impact, pour prendre un autre exemple, distingue en outre un biotope particulier sous le nom « Les zones rudérales (autour des bâtiments et jardins) ». Figurant dans cette catégorie on remarque des jardins et un vieux platane situé au niveau d'un ancien mas aujourd’hui détruit. « Par définition, est-il dit, cet habitat est jugé comme dégradé. À l'exception du platane de l'ancien mas qui pourrait constituer un support pour certaines espèces d'oiseaux ou de mammifères, cet habitat ne présente que de faibles enjeux de conservation. » L’analyse s’affine pourtant alors en notant « la présence de la Chevêche d'Athéna Athene noctua au niveau du mas ruiné ainsi que vers les maisons dans la partie ouest de la zone d'étude, accompagnée ici par le Petit-duc scops Otus scops. » Nous voici en face d’un biotope potentiellement intéressant. Au point que, peu de temps après, dans un addendum à la première étude d’impact on trouve émise l’idée de mettre le platane « en défens »[5]. La Mission Régionale d’Autorité environnementale dans son avis ne manque pas d’en souligner l’importance ; « Deux espèces de rapaces nocturnes à enjeux modérés (Petit duc Scops, Chevêche d’Athena) sont néanmoins présentes dans la partie ouest de la zone d’étude qui présente un platane et des bâtiments (mas ruiné) »[6].Dans un nouvel avis, la MRAe reprend ce point en notant que les études menées sur le terrain et les réponses faites aux critiques précédentes sont insuffisantes ; « Certaines mesures en faveur d’espèces à enjeux (insectes, oiseaux, reptiles, chiroptères) sont peu précises (absence de description et de localisation), en particulier : le balisage des enjeux écologiques identifiés (habitat de la Couleuvre de Montpellier, haie de cyprès), le déplacement du grand platane, l’installation d'abris ou de gîtes artificiels pour la faune, la plantation de haies arbustives denses et d’arbres de haut jet»[7]. Ici, le lecteur apprend que l’aménageur a décidé de déplacer le platane : il est donc prévu de déplacer un arbre vieux de plus de cent ans, un platane de haute taille qu’on imagine rudement élagué et dont les racines seront nécessairement gravement endommagées pour permettre sa transplantation. Ah ! Le beau projet ! Voilà un biotope bien attirant pour ses hôtes habituels ! Et où mettre ce pauvre arbre ? Pourquoi pas sur un rond-point dans les nouveaux aménagements de voirie ? C’est justement l’idée lumineuse de l’aménageur : « Il est également précisé que le platane existant sur le site (au Sud-Est) sera conservé sur la ZAC conformément aux dispositions de l’arrêté d’autorisation environnementale, mais il sera transplanté et réinstallé dans les espaces centraux (îlot ou giratoire central) comme représenté sur la figure suivante»[8]. Les oiseaux et autres commensaux trouveront-ils ce nouvel aménagement à leur goût ? Le platane de Cavaillon est le signe dérisoire des dérives des études d’impact environnemental oublieuses des grandes causes et s’appliquant, à force de découpages et d’analyses, à négliger la valeur et la cohérence globale des écosystèmes. C’est ainsi qu’il est permis d’écrire après avoir décrit le projet d’implantation d’un entrepôt de logistique impliquant l’artificialisation de 78% de la surface du secteur A de la ZAC (soit 6,9 sur 8,9 ha) ; « À l’issue de la mise en œuvre des mesures d’atténuation, aucun impact résiduel n’est attendu sur des espèces végétales ou animales »[9]. Même pas mal !

                                                                                                              Pierre Paliard

 

[1]http://www.vaucluse.gouv.fr/IMG/pdf/piece_3_-_etudimpact_.pdf  p. 68.

[2]Id.

[3]Pour ne donner qu’une référence pour ce phénomène ; « Une baisse de 25% a été constatée au cours des 30 dernières années, avec des déclins accélérés en Europe qui ont choqué les chercheurs. »  https://www.geo.fr/environnement/le-nombre-dinsectes-a-chute-de-25-depuis-1990-200543.

[4]Source : Collectif Sauvons nos terres 84.

[5]« Il est précisé dans l’étude d’impact que le platane de l’ancien mas pourrait constituer un support pour certaines espèces d’oiseaux ou de mammifères et qu’à ce titre il sera mis en défens et protégé (mesure d’évitement retenue par LMV) si son état sanitaire le permet. » 4bis_addendum_etude_dimpact_08_octobre_2018.pdf Compléments LMV ET CEREG ZAC Les Hauts Banquets.

[6]Avis n°2 de la Mission Régionale d’Autorité environnementale de Provence-Alpes-Côte d’Azur sur la zone d'aménagement concerté des Hauts Banquets à Cavaillon (Vaucluse) 2018 http://www.vaucluse.gouv.fr/IMG/pdf/avis_zac_hauts_banquets_no2_vmrae.pdf.

[7]Avis de la Mission Régionale d’Autorité environnementale Provence-Alpes-Côte d’Azur sur la zone d'aménagement concerté des Hauts Banquets à Cavaillon (Vaucluse) Avis n°3, n° MRAe – 2020 n° 2662 2020APPACA44.

[8]ZAC DES HAUTS BANQUETS Parc NATURA’LUB Mémoire en réponse à l’avis de la MRAe 2020 n° 2662 pp. 21-22.

[9]Projet de construction d’un entrepôt logistique ZAC des Hauts-Banquets – Lot A - Cavillon (84), complément en mémoire en réponse à l’avis de la MRAe 2021 APPACA 54/2959 O2TERRE, Bureau d’études en Environnement. https://www.cavaillon.fr/pdf/Urbanisme/RAPPORT%20COMPLEMENTAIRE%20O2TERRE.pdf.

 

[1] ZAC DES HAUTS BANQUETS Parc NATURA’LUB Mémoire en réponse à l’avis de la MRAe 2020 n° 2662 pp. 21-22.

[2] Projet de construction d’un entrepôt logistique ZAC des Hauts-Banquets – Lot A - Cavillon (84), complément en mémoire en réponse à l’avis de la MRAe 2021 APPACA 54/2959 O2TERRE, Bureau d’études en Environnement. https://www.cavaillon.fr/pdf/Urbanisme/RAPPORT%20COMPLEMENTAIRE%20O2TERRE.pdf.